Salle des Conseils

Cette grande salle circulaire est extrêmement sobre. Une unique grande table de forme ovale se situe en son centre. Il s'agit de l'endroit où se tiennent les réunions importantes. Bien entendu, chacun pouvait venir donner son opinion aux dirigeants des Excommuniés sur leurs décisions. Ils étaient assez réceptifs aux idées nouvelles. Par contre, avant de les mettre en marche, elles étaient débattues entre un groupe de fonctionnaires qui se devaient de choisir ce qui était le mieux pour le bien commun. À chaque session du Conseil, il y a le Chef des Excommuniés, le Grand Prêtre et le chef des Valmars qui doivent presque toujours être présents. Il y a une estrade en hauteur pour le public.

-Hum hum... S'il-vous-plaît, asseyez-vous...

Tout le monde s'assit. En effet, dans cette salle, la volonté de Krago faisait la loi, du moins, pour les gens ordinaires. Seuls les plus téméraires (ou les plus fous) oseraient venir le contredire en cet endroit. Il sourit intérieurement en voyant encore une fois tout le monde s'asseoir. Les bavardages avaient tous cessés en même temps. Sa voix les avaient réduits au silence. Il avait une prestance qu'on disait digne d'un roi. Il était assez imposant, voire intimidant dans cette tenue, une énorme armure argentée sur les épaules, une multitude d'armes dans leurs fourreaux... De plus, il savait se battre avec efficacité avec chacune d'entre elles... Il passait le plus clair de son temps à s'entraîner, ainsi qu'à voyager, espionnant les ennemis... Il était très voyant en cet endroit mais pouvait passer inaperçu assez facilement, étant un acteur né. Ses yeux balayèrent la salle du regard... Certains se renfoncèrent dans leur siège. Il prit donc la parole, d'une voix forte et autoritaire.

- Nous sommes tous ici afin de discuter à propos de tout ce qui peut vous passer par la tête, tout ce qui vous inquiète... Vous pouvez tous venir parler à ce Conseil. Nul ne vous en empêchera, j'en fais le serment. Si quiconque dans cette salle tente quoi que ce soit de trop entreprenant, de trop fangereux ou de trop insultant, cette personne sera jetée au cachot, où elle restera pendant quelques temps, temps qui sera déterminé par la gravité de ses propos. Nous sommes ici afin de parler, non afin de nous battre. Alors, quelqu'un a-t-il un problème avec ce que je viens de dire?

De nouveau, le silence fut sa seule réponse, ce qui le satisfit de nouveau. Mais il n'aimait pas rester là, immobile, à écouter les gens parler... Il était plus un homme d'action, laissant ces formalités aux fonctionnaires, mais c'était son devoir de rester près du peuple. Personne ne se leva... Il régnait un silence pesant... Il faisait chaud... Une sueur perla sur le front de Krago, qui commençait à s'impatienter... Un fonctionnaire se décida et commença à expliquer leur situation, qui n'était pas très bonne... Il y avait quelques problèmes, des frictions entre les communautés humaines et Valmars, il y avait même eu quelques confrontations... Rien de très grave, mais il fallait tout de même mieux régler ces problèmes tout de suite. Le fonctionnaire allait enchaîner avec d'autres problèmes quand le Chef des Excommuniés parla.

- Vraiment? Est-ce que quelqu'un ici a eu des problèmes avec des membres d'une autre race? Devrions-nous passer ces accrochages sous silence? Non, car c'est en étant unis que nous pourrons vaincre les Kabadj et leur dieu usurpateur... Réservez donc votre agressivité pour les Kabadj qui tenteront de nous empêcher de nous rendre à Kabadjios. Haut-fonctionnaire Kambish, vous pouvez poursuivre.

Voilà, c'était chose faite. Maintenant, il leur avait rappelé le but de sa vie à lui: Écraser les Kabadjs, et éliminer cette fausse religion qui est la leur. Il espérait que la fin de cet Athanatos Molvac était près, car il ne voulait pas que ses subalternes ne s'entretuent avant qu'ils ne soient prêts à attaquer Kabadjios, qui était l'objectif principal de Krago. Kambish continua, enchaînant avec certains problèmes de nature économique. Les vivres allaient bientôt commencer à manquer... Il faudrait peut-être aller se chercher de la nourriture à même les réserves Kabadjs, ce qui ferait d'une pierre deux coups: Cela les affaiblirait tout en aidant grandement les Excommuniés.

- Inutile de continuer à débattre ce sujet. Je prends les choses en main sur ce sujet. Je vous garantis que nous aurons un réapprovisionnement en vivres bientôt. J'ai l'intention d'attaquer une caravane kabadj en direction d'un de leurs villages afin de m'emparer de leurs vivres. Et ne vous inquiétez pas, leurs vies seront épargnées. Du moins, s'ils ne résistent pas...

C'est à ce moment que quelqu'un se leva dans la salle. Tout le monde se tourna vers la silhouette qui se distinguait dans les estrades. Krago fronça les sourcils. Qui donc osait l'interrompre?

[HJ: Vous avez sûrement compris, c'est à qui le veux bien]

Elle était mal-à-l’aise.
Comme toujours dans cette salle, d’ailleurs.

Sa circularité, son absence quasi-totale de meubles, son air vide, froid et immobile, l’oppressait. Elle ressentait, de ce sixième sens dont sont dotés les canidés et dont elle avait hérité en tant que Lupinal, une tension fébrile s’emparer d’aucuns à chaque fois que le maître des Excommuniés, Krago Gil’Dillian, prononçait une parole. Elle regardait, de sa vue accrue elle aussi, les érudits serviles aux rires désuets et jaunes. Les grands fonctionnaires influents drapés dans leur habit de cérémonie, qui avaient l’air tous plus hypocrites les uns que les autres. Une seule personne semblait être réellement elle-même en cet endroit, et il s’agissait de Krago.

Oui, décidément, elle détestait cette salle.

Haru était en retard, très en retard. Ce matin à l’aube elle avait quitté le camp sans rien dire à personne pour aller se balader dans la montagne, se soustrayant à ses fonctions de Bras Droit et ainsi s’exposant directement à une sanction quand elle reviendrait. Et puis sa petite promenade s’était muée en une extraordinaire rencontre qu’elle n’aurait pu imaginer auparavant : elle avait vu, elle avait parlé, à une jeune femme mystérieuse, à peine sortie de l’adolescence, aux magnifiques cheveux roses et aux grands yeux vides inexpressifs de la même couleur. La Dame Nova Yzis, Anarchiste, Chef des Indépendants.

Maintenant qu’elle avait sous sa main une nouvelle importante à sortir comme excuse, Haru pouvait peut-être espérer que Krago oublie son absence de ce matin. Avec un peu de chance, il avait eu beaucoup à faire et ne s’était rendu compte de rien. Oui, pensa t-elle en scrutant du regard les personnes présentes dans la salle, après tout, elle n’était partie que quelques heures, rien de plus.

La jeune femme n’écoutait que d’une oreille distraite le sujet à l’ordre du jour, à savoir un conflit entre les races humaines et Valmars qui commençait à devenir récurent. Haru haussa mentalement les épaules ; du moment que les confrontations ne tournaient pas à l’émeute, elle ne se sentait pas vraiment alarmée par la situation de ses troupes. Il y avait toujours eu des différends entre les membres des deux espèces, et ce serait encore probablement ainsi jusqu’à la fin des temps. L’harmonie parfaite n’existait pas.

Le haut fonctionnaire Kambish poursuivit son rapport, enchaînant sur des soucis d’ordre financier ; Haru sombra peu à peu dans ses pensées profondes, guettant le moment propice pour pouvoir annoncer à voix haute la rencontre qu’elle avait fait le matin même.

Au bout d’un moment, n’y tenant plus, la jeune femme se leva pour parler et s’aperçut –une seconde trop tard- qu’elle avait sans le vouloir interrompu Krago Gil’Dillian dans ses propos. Elle sentit toutes les têtes se tourner vers elle et se borna à ne regarder que celle de son supérieur, qu’elle salua d’une brève inclinaison de l’échine.

"Excusez mon impertinence pour vous avoir interrompu de la sorte, commandeur Gil’Dillian…Mais il me semblait important de vous informer que ce matin même, je me suis entretenue avec la Dame Yzis en personne, dans les montagnes de Firus."

Haru retint son souffle en attendant une quelconque réaction.

Qui était-ce? Il n'arrivait pas à distinguer cette silhouette, étrangement familière... Mais cette personne osait quand même le déranger, lui, Krago Gil'Dillian, grand chef des Excommuniés, guerrier accompli... C'était un véritable affront! Un autre que lui aurait probablement provoqué cette malheureuse personne en duel afin de régler cette insulte faite à son autorité. Mais pas Krago, qui gardait un calme déconcertant. Son air était complètement vidé d'expressions... Mais, en entendant la voix qui lui adressait la parole, un observateur attentif, ou un Valmar à la vue perçante, eut repéré la vive marque de colère qui avait éclairé son visage pendant quelques moments.

En effet, Haru, son bras droit, qui avait disparu le matin même, venait lui parler en pleine session du conseil, lançant, involontairement peut-être, une flèche qui atteignit la carapace du colosse et porta atteinte à son intégrité... Il allait avoir une petite discussion avec cette jeune idiote, une vraie conversation... En espérant qu'elle ne fasse pas preuve de trop de familiarité avec lui, Gil'Dillian écouta avec curiosité le message d'Haru. Il fut très surpris d'abord de l'entendre l'appeler commandeur Gil'Dillian... Il n'avait jamais exigé que quelqu'un le désigne ainsi... À la base, il aurait voulu qu'on l'appelle Sire ou peut-être général, mais commandeur avait été un titre auquel il n'avait jamais réfléchi... Certes, cela flatta son ego, car il lui semblait que le rang de commandeur lui allait comme un gant.

Malheureusement, cette émotion ne resta pas dans son coeur, en entendant la suite du message de son bras droit. Elle avait rencontré Nova Yzis en pesonne, ce matin même? Où était-elle? Que faisait-elle dans le coin? Haru l'avait-elle convertie? Krago lui-même ne l'avait jamais vue... Peut-être parce qu'il était un membre trop important des Excommuniés... Il rendit alors compte qu'il avait gardé le silence pendant plusieurs secondes, et c'était peut-être trop. Il fallait l'attraper, et voir si elle possédait de quelconques informations à leur fournir.

- Capitaine Nevoriac, savez-vous où elle est actuellement? L'avez-vous emmené avec vous? Vous devez comprendre qu'il est primordial de découvrir ce qu'elle pourrait savoir sur les Kabadjs, et sur leur Dieu maudit. Elle a peut-être même des espions, car il est su par tous que les Indépendants ont des informateurs partout. Il est pratiquement impossible de les débusquer. Son aide pourrait être très précieuse, si toutefois elle acceptait de vous aider. Mais bon, pourriez-vous me faire un compte-rendu de votre rencontre? Le moindre indice sur sa localisaion pourrait nous aider grandement.

Il resta assis à la table et jeta un coup d'oeil aux fonctionnaires qui l'entouraient. Tous une bande de lâches... Krago n'arrivait pas à dire lequel d'entre eux était le plus fourbe. Aucun moyen de le savoir. Le chef des Excommuniés ne respectait que la force brute, et l'intelligence de ceux qu'il côtoyait. Haru était son bras droit uniquement parce qu'elle était suffisamment brillante et forte pour ne pas se faire avoir par quiconque, surtout pas les hauts-fonctionnaires. Cependant, Gil'Dillian ne pouvait pas se débarasser de ces bureaucrates, étant une partie importante du système... Bref, il avait besoin d'eux, car sans cette importante partie de la société, celle-ci volerait probablement en éclat. Et cette situation déplaisait énormément à Krago. Il n'aimait pas dépendre de qui que ce soit. Il tentait de maintenir un équilibre entre bureaucratie, armée et peuple mais c'était une tâche très ardue, même pour quelqu'un commme lui...

Et voilà, c’était raté. Haru s’en doutait. Même si les minutes précédentes elle avait tenté de se rassurer en minimisant sa faute et en se disant que Krago n’avait sûrement pas remarqué son absence, elle ne pouvait maintenant ignorer la vérité. Elle avait vu, de sa vision accrue de Lupinal, l’éclat de colère qui avait passé fugitivement sur le visage de son supérieur, quand il avait reconnu sa voix. Quelques personnes dans la salle, qui avaient remarqué cette expression elles aussi, se mirent aussitôt à jaser, parlant tout bas dans leur barbe en se penchant vers leur voisin. Haru les maudit intérieurement, mais garda une immobilité parfaite, se concentrant entièrement sur la réaction de Krago.

Pour la discrétion donc, il fallait repasser. Cependant, elle avait bien fait visiblement de l’appeler « commandeur », un titre entièrement nouveau mais qui semblait le flatter. Peut-être cela allégerait-il le poids de sa sanction. Après quelques secondes, le Chef des Excommuniés prit enfin la parole, décrétant que l’aide des Indépendants serait très précieuse, si toute fois ceux-ci consentaient à leur accorder. Il lui ordonna ensuite de faire un rapport. Haru réfléchit quelques secondes pour choisir soigneusement ses mots, agacée par le bruit de fond incessant que constituaient les messes-basses des fonctionnaires. Si elle avait voulu être Bras Droit, c’était en partie car elle n’aurait pas toléré d’être sous les ordres de tels individus.

Enfin, elle prit son inspiration et déclara:

"Notre rencontre s’est produite très tôt ce matin, peu de temps après l’aube, près de la Flèche Rocheuse dans les montagnes de Firus… (Bien qu’elle ait volontairement omit de préciser les raisons de son départ, la jeune femme ne doutait pas une seule seconde que Krago l’ait remarqué). Elle s’est présentée à moi sous la fausse identité de Nemesia Kolgorh, et seule. J’ai également usé d’une identité falsifiée…Jusqu’à ce que les masques tombent et qu’elle me révèle être Nova Yzis. Au cours de la conversation il est apparu clairement que sa haine envers les Kabadj était très présente. Comme vous l’avez dit tantôt les Indépendants gagnent en puissance tout en misant sur la discrétion, ce qui leur assure un effet de surprise considérable. Dans ces conditions, il me semble qu’envisager un pacte d’alliance, ou tout au moins un pacte de non-agression serait la meilleure des solutions pour nous Excommuniés…"

Haru avait parlé d’un coup, presque sans s’arrêter, espérant que sa tirade occuperait suffisamment les esprits pour que tous oublient sa fuite à l’anglaise du matin. Ou alors, Krago avait décidé de s’occuper personnellement de son cas après la séance, et bien qu’il soit connu comme étant sévère mais juste, il n’était pas réputé pour être un enfant de cœur. Tendue comme un arc, elle attendait, bras le long du corps, toujours debout au milieu de l’estrade tandis que les conversations entre fonctionnaires se faisaient de plus en plus vives tout autour d’elle.

Krago écouta avec attention le rapport de son bras droit. Elle avait donc eu une rencontre pour le moins... intéressante avec Nova Yzis, Chef des Indépendants. Il y avait eu quelques signes encourageants, notamment sa haine envers les Kabadjs. Il acquiesça d'unb signe de tête lorsqu'elle proposa une traité d'alliance avec les Indépendants, qui seraient un atout précieux dans leur guerre contre les Kabadjs. Elle se tut sur ces mots et Krago prit un petit moment pour réfléchir. Il se leva et annonça, d'une voix forte:

- Cette déclaration sera la dernière de ce conseil. J'espère que chacun d'entre vous a réfléchi à tout ce qui a été dit ici-même, et si vous avez une quelconque information ou un commentaire à me faire savoir, je serai heureux de vous écouter lors de la prochaine session du Conseil. Je déclare cette assemblée close jusqu'à la prochaine. Retournez tous chez vous.

Il avait dit ces mots d'une vois forte et autoritaire, désirant se faire obéir par tous. Il fit signe à Haru de venir le rejoindre en bas, il désirait lui parler en privé. Il retira donc son imposante armure de cérémonie, finissant avec uniquement une simple tunique et des pantalons de toile tout ce qu'il y a de plus simple. Cependant, ses armes étaient toujours à portée de main, comme à leur habitude. Il n'en se séparait jamais de son épée, la couvant comme une poule couvre ses oeufs. Certains auraient pu croire qu'il était paranoïaque, trainant ses armes partout avec lui de crainte d'être attaqué, mais il ne le faisait que par mesure préventive, au cas où... Lorsqu'Haru fut arrivée, il lui fit signe de s'asseoir à la table. Il lui demanda, sans laisser aucune émotion passer dans sa voix:

- Comment se fait-il que tu sois allée aux montagnes de Firus, ce matin, sans prévenir personne?

Lorsque ses paroles s’étaient achevées ainsi que celles de Krago sur l’ordre de sortie de la salle, Haru s’était crue sauvée. Elle se préparait déjà à prendre ses jambes à son cou et à suivre la foule, mais son regard croisa celui de son supérieur qui lui fit signe de venir le voir. C’était raté une nouvelle fois, pensa t-elle blasée.

Elle ne pouvait ignorer superbement un ordre direct du Chef des Excommuniés, aussi attendit-elle le cœur battant que les fonctionnaires prennent le chemin de la sortie, absorbés qu’ils étaient dans un brouhaha de discussions animées. En passant à côté d’elle Kambish lui jeta un drôle de regard, que la Lupinal lui rendit véhément.

Lorsqu’enfin la salle du Conseil fut vide de tous ses occupants, Haru quitta sa place dans les tribunes et descendit les escaliers doucement, ses pas résonnant longuement. Elle remarqua une nouvelle fois que Krago gardait en permanence ses armes à portée de main, une habitude qu’elle même avait prise depuis qu’elle en possédait une. D’ailleurs, Ryômen No Zuka pendait en ce moment même sagement à son côté.

Arrivée sur l’estrade la jeune femme garda toujours le silence, attendant les directives. Son supérieur lui ordonna de s’asseoir, ce qu’elle fit sans discuter, bien que l’envie de rester debout fut plus que tentante ; en effet dans la situation actuelle elle n’avait pas vraiment envie de s’attarder…

"Comment se fait-il que tu sois allée aux montagnes de Firus, ce matin, sans prévenir personne?"

"Je…" commença t-elle doucement avant de s’interrompre quelques secondes, réfléchissant.

Durant sa descente elle s’était mentalement résignée, mais elle n’avait eu le temps de préparer une réponse correcte. Haru se voyait mal déclarer à Krago « j’avais envie de me balader » ou encore « ça ne vous regarde pas ». Il ne l’aurait pas toléré, et une excuse bidon ne faisait pas le poids non plus. Non, il fallait trouver autre chose…et vite où il risquait de s’impatienter.

"Je…" amorça t-elle de nouveau mais les mots lui manquèrent cette fois encore.

« Elle » quoi, au juste ? Rien qui vaille la peine d’être dit, en tout cas. Il ne restait plus qu’une solution…qui ne lui plaisait pas trop, mais tant pis, il était temps pour elle d’assumer les pleines conséquences de ses actes. Haru prit une inspiration et baissa la tête d’un air docile, déclarant dans un souffle :

"Je n’ai pas de prétexte, commandeur Gil’Dillian…Aucune excuse ne justifie ma conduite de ce matin. Acceptez s’il vous plaît mes plus plates excuses…ceci ne se reproduira plus."

La Louve retint son souffle, frémissant dans l’attente du châtiment qui allait s’abattre sur elle, espérant vaguement que Krago se mettrait en colère. En fait, elle aurait même voulu que Krago lui donne un coup de poing, pour que le Chef des Excommuniés calme sa colère et ainsi n’aie pas à la rétrograder. C’aurait été, d’ailleurs, la pire des sentences pour elles, puisque son rang de Bras Droit ne lui serait plus accordé.

Elle ne savait pas quoi répondre à sa question. En effet, Haru ne savait pas du tout ce qu'elle devait dire. Krago resta impassible face à l'hésitation de son Bras Droit. Elle finit par avouer qu'elle n'avait aucune raison valable d'être partie, et qu'elle s'excusait. Krag oresta de marbre face à ses accusations. Son visage était absent de toute émotion. Dans sa tête, par contre, ses pensées se bousculaient. Que davait-il faire? La punir, afin d'être certain qu'elle ne refasse plus la même erreur deux fois, ou uniquement lui expliquer qu'elle était importante dans cette organisation et qu'elle ne devait plus quitter la base sans avertir qui que ce soit. Elle lui posait un sérieux problème...

Un côté de lui lui recommandait d'être clément, et de laisser cette femme en paix sans qu'elle n'ait à subir aucun châtiment, qu'il soit physique ou psychologique. En effet, il pourrait la frapper, l'insulter, la renvoyer même, mais... Il n'était pas certain que cette décision serait la bonne. Il la scruta du regard, tentant de déceler une quelconque peur, ou un quelconque signe qu'elle avait fait cet acte uniquement dans le but de prouver quelque chose... Non, elle semblait vraiment regretter d'être partie sans avertissement... Elle étaitt un peu trop indépendante à son goût, mais ses qualités étaient très importantes. Il ne pouvait pas se débarasser d'un élément aussi... Indispensable. Mais d'un autre côté...

S'il la renvoyait, il devrait se choisir un autre bras droit qui, sachant ce qui était advenu de son prédécesseur, serait beaucoup plus obéissant, et plus porté à obéir aux ordres qu'elle... Il aurait perdu un bon soldat, bien entendu, mais en aurait acquis un autre plus fiable, plus déterminé... Il médita encore quelques instants puis, prit sa décision. Il se leva et la regarda droit dans les yeux et lui annonça, implacable:

- Partir sans avertir qui que ce soit est une faute impardonnable. Tu as quitté l'armée sans que personne ne le sache, et cet acte est en temps normal puni de mort, ou de renvoi immédiat...

Il prit une profonde respiration et la regarda droit dans les yeux, son regard noisette plongé dans celui, obsidienne, d'Haru. Il lui dit, d'un ton égal:

- Cependant, les informations que tu as a ramenés nous seront très utiles et, de plus, tu as été en contact avec Nova Yzis. Je passerai l'éponge pour cette fois, mais c'était la dernière fois que tu fais un coup pareil. Compris?

Sans même attendre sa réponse, il enchaîna.

- À présent, notre but est de retrouver Nova Yzis, et d'établir une alliance solide avec les Indépendants, afin d'éliminer les Kabadjs. Avez-vous une idée de l'actuelle position du chef des Indépendants? Vous a-t-elle laissé savoir où elle se dirigeait?

Son cœur cognait dans sa poitrine à un rythme accéléré tandis qu’elle sentait l’épiderme de ses paumes se couvrir de sueur. L’attente devenait douloureuse à mesure que Krago réfléchissait à sa réponse, qui d’ailleurs avait tardé à venir. Mais Haru s’aperçut bien vite qu’il lui était impossible de suivre le cheminement de sa pensée sur le visage de son supérieur, qui restait aussi impassible que le marbre.

Hésitait-il ? Peut-être, sûrement, même. Malgré le fait qu’il ait conservé un air neutre, il y avait des signes imperceptibles dans l’attitude de Krago qui traduisaient son atermoiement. La Louve avait appris à reconnaître ces signes et, mieux, étant affiliée aux Lupinals, elle les sentaient, comme une sorte d’intuition, un sixième sens.

Quand enfin il cessa de tergiverser et se leva pour la regarder dans les yeux, Haru soutint son regard havane, prête à entendre la sentence. Oui, partir comme elle l’avait fait était une faute impardonnable, un acte puni de mort, car il s’apparentait directement à l’attitude d’un déserteur ; oui, elle le savait très bien…Ainsi les lois martiales de l’armée avaient eu raison de ses talents. Elle soupira, baissant la tête.

Mais alors qu’elle croyait sa dernière heure arrivée, Krago dit que pour une fois, il serait tolérant, uniquement grâce aux informations qu’elle avait rapportées. Haru leva vers lui un regard surpris mais ne dit rien, ne voulant pas l’interrompre. Graciée ? Vraiment ? Elle sentit son cœur faire un bond d’allégresse dans sa poitrine et écouta attentivement son supérieur.

"Nova Yzis…n’a rien dit sur sa localisation" déclara t-elle d’une voix qui avait retrouvé son ton professionnel. "Cependant elle n’avait pas l’air physiquement d’avoir parcouru beaucoup de chemin quand je l’ai rencontrée…Nova Yzis est aveugle, et les aveugles ne se lancent pas à cœur perdu dans des balades risquées en montagne…de plus nous avons discuté, et à ses paroles il semble qu’elle connaisse plutôt mal les montagnes. On peut facilement en déduire qu’elle ne vit pas là-bas…et si elle ne se trouve pas non plus dans la Vallées des Trois-Cols où nous résidons, il ne reste qu’une solution : la Plaine…Les Indépendants ont sûrement établis leur repère principal en bordure des contreforts rocheux de Firus, tout à l’extrémité de la lande, le plus loin possible de l’empire…"

Haru se tut finalement. Elle avait dit ce qu’elle pensait à haute voix, mais bien que son raisonnement tienne la route, tout ne restait encore que suppositions. Les informations sur les Indépendants étaient rares, car ils étaient partout déployés, et la concentration principale de cette population ne devait pas excéder le quart de l’effectif total. Aussi était-il très difficile de les débusquer.

Si ses informations s’avéraient exactes, il faudrait envoyer des émissaires, des espions, bref, des Excommuniés levant haut le drapeau blanc à l’encontre des athés pour espérer forger un traité d’Alliance…en espérant que la mission ne se transforme pas en pugilat sanglant…
Tandis que son chef allait sûrement ségarer dans des pensées profondes de stratégie militaire, Haru se leva lentement et, gardant un instant un silence songeur, finit par s'incliner bas devant Krago en déclarant d'un air penaud:

"Commandeur Gil'Dillian...toutes mes plus sincères excuses...ainsi que...mes remerciements..."

En effet... Toute cette suite logique se tenait debout. Krago ne faisait que trop rarement confiance à ses subordonnés, ou à ses égaux. Il était plutôt de nature individualiste, mais bon. Il devait faire confiance à Haru, car elle était la seule personne qui avait eu contact avec Nova Yzis sans affrontement de quelque sorte. La seule personne de son entourage, en fait. Elle en savait plus sur elle que n'importe quel autre Excommunié, probablement. Elle était leur seul lien entre eux et les Indépendants. Il aurait été idiot de se débarasser d'un membre aussi important.

Il réfléchit assez longtemps. Il aurait adoré se rendre lui-même à la base des Indépendants, mais il avait fort à faire ici. Bien entendu, la logique aurait été qu'il envoie un ambassadeur ou un négociateur de sa garde en qui il ferait confiance mais ils étaient tous des bons à rien. En plus, ils ignoraient tout de Nova Yzis. Ce qui ne laissait qu'un seul choix possible: Haru Nevoriac, son bras droit, la plus efficace parmi ses centaines des gardes. Il alla donc se chercher une bouteille de vin qui était posée sur une table dans un coin de la salle. Il se versa généreusement de ce nectar dans une coupe et alla s'asseoir près de Haru. D'accord, le vin était probablement son pire vice. Mais il ne buvait jamais plus que nécessaire. Il aimait tout simplement boire du vin, mais il savait où était la limite à ne pas franchir. Après une gorgée au goût exquis, il lui dit:

- Ne me remerciez pas trop vite, car vous serez tout de même punie. Votre punition sera celle-ci: Vous devez trouver le camp des Indépendants. Ceci est votre mission prioritaire. Et si jamais vous rencontrez Dame Yzis, dites-lui que nous serions disposés à former une alliance mais que si elle voulait en savoir plus sur les conditions, qu'elle devrait soit venir me voir où me donner un point de rendez-vous où nous pourrions discuter. Vous pouvez disposer, Capitaine.

Il se retourna et s'assit sur son siège du conseil, méditant sur tout ce qu'il avait appris aujourd'hui. Il en profita également pour lire le rapport de Kambish afin de savoir ce qu'il n'avait pas eu le temps de dire. Il entendit Haru se diriger vers la sortie. Il eut une soudaine impulsion. Il l'appela:

- Capitaine!

Il attendit quelques secondes et entendit Haru s'immobiliser. Il reprit, sur un ton assez bienveillant:

- Beau travail Haru.

Et il se remit à lire le document qu'il avait sous les yeux.

Il était temps, temps qu’Ymen, maître des cieux, descende sur terre et pourquoi ne pas commencer ce voyage par la visite du chef des Excommuniés. C’est dans cette idée que l’illustre dieux apparut devant la porte de la salle des conseils. Ce fut une apparition sans grand remous à peine un tremblement dans l’air et Ymen apparut. Pour l’occasion il était vêtu d’une chemise blanche brodée d’or aux manches et au col. Comme toujours, un aigle majestueux était posé sur son épaule, chose étrange aucun lien ne le retenait à son maître. Mais, encore plus étrange Ymen ne portait aucune protection contre les serres acérées du rapace.

Le dieu soupira doucement, il avait oublié les désagréments de cette forme d’humain, être prisonnier d’un corps, subir la pression du monde sur sa chair, se déplacer avec ces deux jambes… tant d’inconvénient pour voyager dans sa création.

Il tourna ses yeux gris, de la même couleur que le ciel nuageux à l’extérieur, vers la porte. Derrière le dieu pouvait sentir l’esprit de Krago, mais malheureusement pas avec la même clarté que s’il n’était pas emprisonné dans cette étouffante boule de chair.

Il se dirigea vers l’entrée de la salle des conseils. Peut-être qu’elle n’en valait pas la peine ou parce qu’Ymen était préoccupé par autre chose, mais le dieu ne se soucia pas de Haru qui passa devant lui seul l’aigle posa son regard sur la fille. Devant la porte, Ymen s’arrêta pris quelque seconde à regarder la porte et y cogna.

Ymen ne prit pas le temps d’attendre une réponse et entra dans la pièce circulaire. Assis à la table ovale Krago, le chef des excommuniés lisait un parchemin, probablement un rapport d’un conseiller.

La divinité prit donc un siège près de Krago et attendit que le chef des humains s’intéresse à lui. Pendant ce temps Ymen laissait vagabonder ses pensées. Son aigle, quant à lui, quitta l’épaule où il était perché et descendit le long du bras de son maître pour atteindre le poignet. L’aigle donna alors trois petits coups de tête sur le torse d’Ymen, sa façon à lui de signifier ''J’ai faim''. Voyant que le dieu n’y portait pas attention, l’oiseau sauta sur la table et entreprit une petite danse et frottait, de temps à autre, sa tête contre la paume de la main du maître. Ymen sortant de sa rêverie prit un bout de viande de sa bourse et le lança à l’oiseau qui, ravi, s’envola pour atterrir plus loin et manger sa récompense, ainsi éloigné de l’homme qu’il ne connaissait pas, Krago. Ymen ne porta pas attention au manège du rapace, il était déjà retourné à ses réflexions.

Tandis que Krago, après ses nombreux raisonnements et déductions, se murait dans un profond mutisme de réflexion, Haru attendit patiemment, debout, les yeux fixés au sol, n’osant lever le regard vers son supérieur hiérarchique et se contentant de l’observer du coin de l’œil. Bien qu’elle fut soulagée de la décision de son chef de passer l’éponge sur sa faute, les silences de Krago n’étaient jamais de bonne augure, et il en résulterait forcément un choix qui ne l’arrangerait guère. Mais malgré les contraintes que le Chef des Excommuniés pourrait lui imposer, ce serait toujours mieux que la potence…

Quand enfin, après de longues minutes, Krago sortit enfin de ses pensées et se mit à se mouvoir dans la pièce pour se servir un vers de vin, Haru l’observa du coin de l’œil, le regard fixé sur le liquide pourpre et ambré qu’il ingurgitait par petites gorgées. Elle avait toujours détesté l’alcool, non pas pour le goût mais pour les effets, qui brouillaient les sens et atténuaient l’instinct. Par conséquent, elle n’en buvait jamais.
Krago enfin lui dit, après quelques absorbions de vin, que sa priorité serait dorénavant de chercher et trouver le repaire des Indépendants, et qu’elle pouvait disposer.

Haru s’inclina en un signe de remerciement et de soumission et pivota sur ses talons, mesurant sa démarche pour qu’elle ne paraisse pas trop rapide. En réalité, elle avait envie de se sauver à toutes jambes, mais cela aurait été très mal vu par son supérieur, sans aucun doute. Alors qu’elle arrivait à la sortie de la Salle des Conseils, Haru entendit de nouveau la voix impérieuse l’appeler et se retourna.
« Beau travail Haru » avait-il dit. L’intéressée garda un silence surprit et rougit, après une dernière courbette de l’échine, fit volte-face et partit au pas de course.
Décidément, elle n’arrivait vraiment pas à cerner Krago…

Au moment même où elle franchissait la porte de la salle, elle croisa un grand et bel homme, d’un âge indéfinissable, aux prunelles d’azur surprenantes et aux cheveux couleur d’or. Elle s’arrêta lentement, pestant intérieurement contre les jeunes recrues qui se permettaient de pénétrer impunément aussi loin dans les entrailles de la Grande Demeure. Mais au moment de lancer une cinglante réplique de rappel à l’ordre, le souffle lui manqua.
Son regard venait de croiser celui du rapace, posé sur l’épaule de l’homme. Haru s’immobilisa totalement, gardant des yeux écarquillés, les cheveux voletant dans le sillage de l’inconnu qui venait de disparaître... Et malgré qu’elle avait déjà la bouche ouverte, prête à parler, elle se tut et recula à petits pas, sidérée puis fit brusquement volte-face et s’en fut dans le couloir sombre.

Ce qu’elle avait lu dans le regard de l’homme, comme dans celui de l’aigle, était une chose indescriptible, qui avait provoqué dans son cœur un remous de sentiments impressionnant, comme si elle avait soudain contemplé en face d’elle le monde tout entier, et sa misère, et sa sagesse, et ses malheurs…Comme si l’expérience dans le regard d’un homme avait été multiplié à la puissance mille…Comme si l’étincelle qui y brillait avait connu pis que la vie et que la mort…
Et elle sut au plus profond d’elle-même, dans son âme d’athée fervente et d’anti-religion, oui, elle sut qu’elle avait rencontré une entité supérieure qui n’appartenait pas au commun des mortels…